La neutralité du Béarn
Gaston Fébus face au Prince Noir...
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Le triomphe de Launac eut une conséquence personnelle pour Fébus : au lieu d’associer sa femme Agnès aux célébrations, il décida de rompre avec elle. Il se sentait désormais assez puissant pour se détacher définitivement de la famille de sa femme, en particulier de son beau-frère Charles II de Navarre, avec lequel il avait été lié dans ses intrigues contre la France. Après le séjour en Île-de-France, Agnès semble avoir vécu effacée, n’apparaissant dans aucun document officiel et n’exerçant aucune influence sur son mari. On ne trouve aucune trace de son rôle dans l’« hôtel » de Fébus, ce qui montre son effacement total. Agnès avait pourtant donné naissance, en septembre 1362, à un fils longtemps attendu, nommé Gaston, avec le roi de Navarre comme parrain. Mais la naissance de l’héritier ne suffit pas à rétablir sa position. Bien qu’ils aient pu s’entendre au quotidien, Fébus n’aimait plus Agnès, et l’arrivée d’un fils bâtard, Bernard, diminua probablement encore son importance. La venue de l’héritier légitime condamna définitivement Agnès, et le triomphe politique de Launac fut l’occasion de sa disgrâce. Agnès se trouvait à Orthez lorsque Fébus, au lieu de la faire venir pour célébrer la victoire, envoya son demi-frère bâtard, Arnaud-Guilhem de Morlanne, son homme de confiance chargé des missions délicates. Le lendemain de Noël 1362, il notifia à Agnès qu’elle devait quitter Orthez immédiatement. Des ordres stricts de silence absolu furent donnés. Agnès, convoquée pour témoigner à Pampelune, confirma qu’il n’y avait rien à reprocher à sa conduite. Fébus lui-même le reconnut, mais persista à se dire dans son droit. Il la répudia sous un prétexte financier, arguant que la dot n’avait pas été entièrement payée, alors qu’il s’agissait surtout d’une manœuvre politique. En décembre 1362, leur fils unique, le jeune Gaston, n’avait que trois mois ; il fut laissé à Orthez sous la garde d’une nourrice. Arnaud-Guilhem de Morlanne fut envoyé à la comtesse de Foix pour lui signifier de quitter immédiatement le château de Moncade et de ne revenir qu’après versement complet de la dot. Agnès tenta de négocier un délai pour préparer son départ, mais Morlanne refusa. Elle dut partir sur-le-champ, rassemblant ses objets les plus précieux : bijoux, vêtements, vaisselle d’argent et ornements religieux. Pourtant, son départ fut marqué par une extrême dureté : interdiction d’emporter ses biens, saisie de ses bagages et confiscation de ses possessions à Orthez en garantie de la dot impayée. Seule sa dignité de princesse lui permit de partir avec un minimum d’effets. Elle déclara plus tard, en 1391, n’avoir sauvé que quelques objets d’argent et une tapisserie. Son renvoi, vécu dans la douleur, la sépara de son fils mais la délivra aussi d’une union difficile. Accompagnée d’Arnaud-Guilhem, elle gagna Pampelune, où son protecteur présenta ses griefs financiers contre Fébus. Jamais Fébus n’aurait osé un tel affront s’il n’avait été en position de force. Sa puissance et sa gloire militaire lui permettaient d’imposer sa volonté sans craindre les critiques. Seule Aliénor de Comminges, mère de Fébus, osa s’interposer et plaider pour la réconciliation, en vain. Cette rupture marquait non seulement un épisode conjugal tragique, mais aussi une affirmation de puissance politique : Fébus prouvait qu’il pouvait défier la maison de Navarre sans en redouter les conséquences. Derrière la répudiation d’Agnès, se cache en réalité une lutte de prestige et de domination entre le Béarn et la Navarre. À travers Agnès, c’est le royaume de Navarre tout entier que Fébus humiliât, réglant symboliquement la question de la dot comme un acte d’autorité politique. L’affaire révélait sa volonté d’indépendance totale, en rompant tout lien de sujétion morale ou financière. Ainsi libéré, Fébus pouvait concentrer toute son énergie sur la consolidation de son pouvoir et ses rapports stratégiques avec les grands royaumes voisins.